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Mirabelle en voyage(s)
27 janvier 2016

Francophonie

Dans le cadre de mon Master, il y a un cours qui s'intitule Francophonie. Je mets ici mon devoir (qui a eu une super note :-)) puisque j'avais choisi de parler du français en Louisiane.

 

La langue française, telle que nous la connaissons aujourd'hui a traversé une longue histoire. Elle est le fruit des mouvements de population, de leurs contacts. Ses origines sont indo-européennes aussi bien pour sa branche latine que pour sa branche gauloise venant des tribus celtes conquises par les Romains au 1er siècle après J.C. Les contacts entre ces deux langues, ajoutés aux contacts avec les langues d'autres envahisseurs comme les Francs de Clovis, ainsi que les contacts anglo-normands aboutissent alors à former un français courant et parlé qui comporte de grandes variations selon les régions sous les influences des dialectes et patois locaux.

C'est François 1er qui, avec l'Ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, fait du français la langue véhiculaire de l'état et en conséquence, la langue des écrits législatifs et des écrits régissant la vie publique. Les intellectuels tentent cependant de résister en continuant à utiliser le latin considéré comme une langue noble. Et c'est pour des raisons politiques, la diffusion des lois républicaines, qu'après la Révolution de 1789, la décision est prise d'enseigner en français dans les écoles primaires. Mais les résistances restent fortes, le français progresse lentement. Il faudra que Jules Ferry, entre 1879 et 1886, promulgue plusieurs lois concernant l'enseignement laïc pour que le français devienne réellement, dans les faits, la langue nationale.

Plusieurs siècles ont ainsi été nécessaires pour aboutir à ce statut de la langue française en France. Qu'en est-il de par le monde ? Au fil des conquêtes, des voyages des explorateurs, de la colonisation, la langue française a acquis une situation socio-linguistique particulière. Elle est représentée sur chacun des continents et l'Organisation Internationale de la Francophonie estime qu'il y a 274 millions de locuteurs sur la planète. Une étude récente a même annoncé qu'en 2050, le français serait la langue la plus parlée dans le monde. Il semblerait que, selon que les études s'expriment en nombre ou en pourcentage, les conclusions varient. Mais les experts sont toutefois d'accord sur le fait que le nombre de francophones triplerait, ce qui représente une grande opportunité pour tous ceux, éditeurs, institutions ou autres en charge de la diffusion de la langue. La France et les francophones se battent pour la langue, pour l'exception française dans la culture. La bataille n'est jamais gagnée.

 Je voudrais ici étudier un peu plus précisément le cas de la francophonie en Louisiane, comment la situation a pu évoluer depuis  l'interdiction de parler français jusqu'à la suppression de cette interdiction et une possible renaissance actuelle.

La Louisiane est dans une situation très spécifique aux Etats-Unis. En effet, si le français a le même statut  officiel que l'anglais, il se retrouve surtout dans le sud de l'Etat. Quant au pourcentage de francophones, il varie selon les sources (et selon ce que l'enquêteur et le sondé entendent par francophone) mais il semble se situer autour de 5% de la population totale. La région appelée Acadania regroupe 22 communes du sud de la Louisiane.

 L'état était une colonie française et a été cédé par Napoléon aux Etats-Unis. Les lois louisianaises, inspirées du Code Napoléon sont rédigées en français et en anglais. En cas de litige, la version française prime (Heckenback, 1999).

La langue française était donc logiquement parlée par la population du fait de ses origines. Ce groupe de peuplement a été rejoint par des réfugiés déportés  depuis le Canada, de l'Acadie plus précisément, entre 1750 et 1820 (le Grand Dérangement), francophones eux-aussi. Ils forment les Cadiens (Cajuns pour les anglophones, terme parfois considéré à présent comme méprisant).

Aux Cadiens, il faut ajouter les tribus amérindiennes locales qui sympathisaient avec les français et qui ont mêlé le français à leur langue ainsi que les esclaves africains qui, eux, ont mêlé le français aux langues africaines, les Créoles.

 Ces communautés aux caractéristiques multiples constituent bien une diaspora francophone, au sens précisé par Bruneau (1995) cité par Koulayan (2003) car ils se revendiquent d'une identité « par choix, par décision volontaire et consciente ». Au sein de la diaspora francophone, ils se choisissent  d'identité acadienne (Le Ménestrel, 2005).

Mais ce serait simpliste de rester sur cette équation : les blancs sont cadiens et parlent le français de Louisiane, les noirs parlent le créole, quant aux indiens ? Ils sont souvent oubliés ou négligés... Selon Nathalie Dajko, dire qu'il y a un seul français en Louisiane est aussi erroné que de dire que la division linguistique est une division ethnique. « Le français louisianais est grandement variable et étiqueter le langage ne correspondra pas aux divisions ethniques » (Dajko, 2012, p. 279, nous traduisons), ce que Tajfel (1974) et Kasparian (2001) avaient déjà analysé. «L’identité d’un individu ne se réduit pas à une simple équivalence avec une identité ethnique. En effet, pour chacun, l’identité sociale est conditionnée par le sentiment profond d’appartenir à un ou plusieurs groupes. » (Koulayan, 2003).

 La langue française, après avoir été interdite à l'école de 1916 jusqu'en 1968 (Turlin, 1996) veut voir son renouveau dans un certain nombre d'actions entreprises.

 C'est donc en 1968 que James Domengeaux crée le Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL), avec l'appui de l'Etat de Louisiane. Sa mission est de : « faire tout ce qui est nécessaire pour accomplir le développement, l'utilisation et la préservation de la langue française telle qu'on la trouve en Louisiane pour le bénéfice culturel, économique et touristique de l'Etat. » (Le Menestrel, 2003, p. 78). James Domengeaux avait coutume de dire que : « l'école a détruit le français, l'école doit le rebâtir ». (Degrave, 2013). L'enseignement de la langue est ainsi placé au centre de la politique du CODOFIL, la renaissance francophone passera par là.

 Le choix de Domengeaux est un français international. Ce choix est véritablement politique : offrir une ouverture internationale et diplomatique à la Louisiane et ne pas froisser certains groupes locaux en promouvant un français local qui serait donc militant.

Si on s'en tient strictement aux chiffres, dans un premier temps, l'oeuvre du CODOFIL est un succès. Le programme d'enseignement en école élémentaire enregistrait 25.000 élèves en 1972 et jusqu'à 80.000 élèves en 1996. Mais il s'est rapidement avéré que ces enfants étaient totalement incapables de s'exprimer et de communiquer avec leurs grands-parents. Barry Ancelet, artiste cadien, a écrit au sujet de l'enseignement du français en Louisiane : « l'expérience de ressusciter le français est restée théorique. Elle n'a pas encore effectué le chemin de retour de l'école jusqu'à la maison.» (Ancelet, 1988, p.351, nous traduisons).

 Dans un premier temps, les enseignants viennent de France, de Belgique et du Québec et sont incapables d'enseigner un français vernaculaire, et ce n'était de toutes façons pas le choix fait par le CODOFIL à cette époque. Dans un second temps (à partir de 1978), une formation est mise en place localement avec cependant un grand nombre de lacunes, en particulier pédagogiques. Les enseignants sont plus ou moins parachutés dans les écoles et nombre d'entre elles commencent à fermer leurs programmes de français.

 Devant ce déclin, Domengeaux accepte de lancer une expérience d'immersion en 1981 : l'école va enseigner en français et non plus le français. Mais les programmes d'immersion se développent peu. Les écoles n'aménagent pas les horaires des enfants, il est difficile d'intégrer le programme au-delà de la première année de primaire et le CODOFIL est de plus en plus critiqué.

 Domengeaux avait promu un français blanc, laissant ainsi de côté les noirs et les indiens, ce qui a pu donner une image colonialiste à la langue française et le sentiment de passer d'une domination blanche anglophone à une domination blanche francophone. A la fin de sa vie, et selon certains par opportunisme, Domengeaux avait ouvert la porte aux créoles noirs. Le CODOFIL a aussi été critiqué pour avoir eu un bureau inefficace dont les membres étaient choisis par clientélisme.

 Le Sénateur LaFleur réussit, après d'importants efforts sur le plan législatif, à refondre le CODOFIL en 2010. Ce sont les lois appelées Act 679 et Act 212. Il réduit le nombre de membres du bureau directeur à 23 personnes qui sont nommées par diverses instances impliquées dans l'éducation, des parlementaires, des associations et des institutions économiques (Degrave, 2013, p. 4). Sa représentativité ainsi que la compétence des membres lui assurent une légitimité et du crédit.

Ce CODOFIL nouveau a la lourde charge du renouveau de la langue française en Louisiane selon deux axes : l'éducation via les programmes d'immersion et un développement économique et socioculturel.

 La loi précise aussi que si les écoles veulent des subventions et conserver le label d'école d'immersion, elles doivent tout faire pour mettre en place des programmes d'immersion aussi bien en primaire que dans le secondaire. Depuis 2012, une étude est lancée pour poursuivre ces programmes d'immersion jusqu'à l'université. L'articulation des différents niveaux n'est pas simple à mettre en place. Une piste selon Philippe Gustin , responsable du Centre International Lafayette, cité par Degrave (2013) pourrait être de : « donner l’occasion à ces jeunes de se perfectionner dans un français extrêmement pointu qui pourrait devenir, à l’université, leur objectif de carrière professionnelle. »

 L'immersion est à présent vue comme un outil économique local qui doit fournir des locuteurs francophones aux domaines du tourisme et aux services publics. C'est au CODOFIL de tout mettre en œuvre pour y parvenir, avec l'aide des pouvoirs publics. Cette loi peut sembler audacieuse, elle ne donne toutefois aucun objectif en terme de délai.

Le CODOFIL a de plus lancé un programme original d'immersion « à l'envers » : envoyer des étudiants de Louisiane en France où ils enseigneront l'anglais en primaire en même temps qu'ils suivront des formations en français dans des universités françaises et à distance dans des universités louisianaises.

Ce programme diplômant, baptisé Escadrille Lafayette, a pour but de fournir des enseignants qualifiés pour le primaire et le secondaire dans l'enseignement public. Mais à quoi servent des enseignants s'il n'y a pas d'écoles qui proposent l'immersion ? Degrave (2013) se demande si faire reposer le succès du renouveau de la langue française sur le système éducatif n'est pas illusoire. Il faut que les élèves puissent entendre le français hors de l'école. « Le CODOFIL doit donc créer les conditions telles que parler le français sera possible, intéressant et profitable »[6] (Degrave, 2013, nous traduisons). Ainsi que Joseph Dunn, directeur du CODOFIL en 2011, le précisait lors d'une conférence au lycée français de New-York : « Nous pensons que c’est seulement en créant des produits et des projets que nous allons arriver au point où nous aurons des jeunes qui ne deviendront pas forcément des professeurs de français, mais aussi des mécaniciens francophones, des médecins francophones, un personnel des soins de santé francophone, et autres types de professionnels. Ces alternatives doivent être encouragées ». (Ross, 2013). La médecine et le barreau semblent être deux domaines très prometteurs.

 Pendant des années, pour plus d'une génération qui a été stigmatisée, revendiquer une origine cadienne ou créole n'était pas une valeur positive. Aujourd'hui, être Cadien est source de fierté, comme « une revanche sur le stéréotype négatif du passé » (Le Ménestrel, 2003). Le français était en effet la langue de personnes peu éduquées, des régions rurales. Cette génération de personnes qui ont grandi en américains ont aujourd'hui le sentiment que quelque chose de leurs racines leur manque : « Mes parents parlaient français. Pas moi. Je le regrette tellement » (Saint-Hilaire, 2005). Cet attachement culturel donne une impulsion, c'est une « valeur centrale et quelquefois unique qui permet de distinguer les cultures francophones des autres cultures en Amérique du Nord » (Py, 1995) et ce surtout auprès des classes éduquées. Zachary Richard, militant pour le français louisianais depuis plus de 40 ans, dit que pour lui, le français a toujours été la langue de la joie de vivre, du divertissement ce qu'il oppose à la mentalité américaine de la réussite.

 Mais comment se concrétise cette impulsion en actions au quotidien ? Il s'agit d'une série d'initiatives, modestes prises individuellement mais qui mises bout à bout, donnent une visibilité significative à la langue française.

 Le sénateur Stephen Ortego a obtenu au cours de l'été 2014 deux victoires importantes. La première est que l'éducation bilingue est devenue un droit. Il suffit que 25 familles d'une école signent une pétition demandant la création d'un programme d'immersion pour que la commission scolaire le mette en place.  De façon surprenante, les classes d'immersion attirent aussi les familles hispaniques. En effet, l'enseignement en français a la réputation d'être haut de gamme et ces familles veulent assurer un enseignement de qualité à leurs enfants.

La seconde victoire est que la signalisation routière dans les 22 comtés acadiens peut être bilingue.

Offrir des services publics en français est un acte militant, car ce n'est pas véritablement nécessaire à la population. Même les associations les plus actives, telle Cajun Mafia, ne s'expriment qu'en anglais. Il s'agit bien « d'envoyer un message» aux francophones et aux non-francophones.

Mais pour Degrave, l'attachement à l'identité ne sera pas un moteur suffisant. Seule la nécessité économique fera que les louisianais chercheront à redevenir bilingues. « L'augmentation de la présence française en Louisiane générera des emplois dans le tourisme et l'industrie de la culture. Cela représente la meilleure opportunité que cette langue à jamais eu de se développer à nouveau» (Degrave, 2013, nous traduisons). Cette optique économique a le mérite de mettre démocrates et républicains d'accord !

La Louisiane attire peu de touristes par rapport à l'ensemble des Etats-Unis. Les québecois préfèrent la Floride, les américains n'aiment pas les états du Sud... Une plus grande visibilité du français attirerait les francophones (même s'ils n'ont pas besoin du français dans leur quotidien). Seuls 7% des touristes français qui se sont rendus aux Etats-Unis ont visité la Louisiane, selon le site asteur-amerique (voir note 10). C'est une entreprise de longue haleine : donner dans un premier temps le sens du patrimoine aux habitants puis la fierté de ce patrimoine matériel ou immatériel. Un slogan a été « Ne réinventez pas la roue, redécorez-la » (Le Ménestrel, 2003).

Une autre source très importante de visibilité de la langue, c'est la musique, et en particulier les chansons, qui, depuis les années 1970 sont très à la mode aux Etats-Unis. Mais avec la musique, nous nous retrouvons, en quelque sorte, aux limites de la francophonie et de plein pied dans l'identité culturelle. Il en va de même avec la cuisine cajun et l'art de vivre du Sud en général, puissants vecteurs touristiques.

Attirer les touristes grâce à un environnement plus francophone mais aussi attirer les  groupes industriels français. En effet, plusieurs acteurs français de premier plan sont déjà présents et la Louisiane a besoin de nouvelles sources de revenu. Son industrie pétrolière, qui a été la principale activité de l'état, décline. Les investisseurs français apprécient que les familles d'expatriés puissent trouver des écoles françaises sur place. Les français de France à la rescousse de la langue lousianaise ?

 

 Alors est-ce un renouveau ? Certains parlent plus modestement de réveil et ajoutent avec humour : « Le cadavre du français en Louisiane se lève et demande une bière ».

Le Québec et la Louisiane s'observent mutuellement. Pour certains québecois, la « louisianisation » est l'expression consacrée pour l'exemple à ne pas suivre en matière de politique linguistique. A contrario, il existe de grandes similitudes entre le profil de l'état du Manitoba au Québec et celui de la Louisiane. Le nombre de locuteurs français a pu augmenter au Manitoba grâce à un grand nombre d'élèves en classes d'immersion. Il semblerait qu'il faille un nombre critique de locuteurs pour assurer la survie d'une langue ce qui voudrait dire associer un nombre grandissant de louisianais non-cadiens aux mesures de renaissance du français (c'est le cas du directeur du CODOFIL qui est un non-cadien).

 

Le « réveil identitaire » est une tendance générale aux Etats-Unis en cette époque de mondialisation. La Louisiane est donc elle aussi plus ouverte à l'expression des cultures. C'est un point très positif car les actions en faveur de la francophonie sont mieux accueillies par les pouvoirs publics. Mais, les francophones ne risquent-ils pas de se retrouver « dilués » parmi les hispaniques, les vietnamiens et autres communautés à fort taux d'immigration ?

 .

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Commentaires
I
La bibliographie est vraiment très bien faite ;-)<br /> <br /> (tu es sur la pente fatale : tu mets tes travaux universitaires dans tes Kro... ou tout cela va-t-il finir...)
Mirabelle en voyage(s)
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